Poussières dans l'espoir

CHAPITRE I



  Lorsque je suis devenu professeur il y a six ans de cela, j’étais loin d’imaginer à quel point ce métier et tout ce qui l’entoure étaient devenus inintéressants. Des élèves abrutis, décérébrés, gonflés d’arrogance parce que persuadés de tout savoir juste en surfant sur wikipédia. Des principaux et des proviseurs qui se targuaient de diriger leurs établissements comme des entreprises du privé, comme s’il y avait lieu de se revendiquer d’un secteur qui traitait les gens comme des merdes remplaçables par le premier clandestin venu. Un micro-management - les termes sont bien représentatifs de l’évolution des mentalités - où même dans le service public, chacun devenait la proie du harcèlement, de la violence verbale, et de la diffamation dès lors qu’il montrait le moindre signe de difficulté devant une situation devenue ingérable. Et si par malheur on tombait malade, la chasse était ouverte, plus question de vie privée et de secret médical. Il faudrait tout expliquer, sinon à vous la suspicion, les convocations, et bientôt la police, n’en doutons pas…

  À l’école, plus personne ne voulait apprendre, et plus personne n’apprenait. D’ailleurs, la société nous l’avait bien expliqué : nous avons tellement à apprendre de nos enfants, de nos jeunes. Oui, le seul apprentissage valable, au final, n’était plus celui qui va du maître à ses élèves, mais celui qui vient de ces brillants êtres de 10 ans, qui sont « tellement plus éveillés qu’autrefois » et qui nous « étonnent et nous émerveillent à chaque instant ». Et c’était vrai. À chaque seconde j’étais étonné devant la capacité de ces enfants à recracher l’idéologie libérale égoïste et jouisseuse, à revendiquer leur droit à dire et à penser des conneries, à revendiquer leur droit à continuer de dire et de penser des conneries, et surtout à en être fier parce que plus c’était con, et plus ils avaient l’impression de sortir des sentiers battus et d’avoir une personnalité. La génération du « si j’le pense, j’le pense et puis c’est tout, c’est mon droit ». La génération des blogs où chacun croit avoir quelque chose à dire, et surtout pense que c’est intéressant. La génération de l’arrogance, où sans avoir jamais rien fait ni rien prouvé, on revendique quand même le droit de donner des leçons à tous.
  Au lycée, c’était pire. L’illusion d’être adulte gonflait encore plus l’égo des jeunes cons. Là, tout devenait question d’attitude, il s’agissait avant tout d’affirmer les mêmes conneries que tout le monde, mais avec un ton péremptoire, assuré et le plus revendicatif possible. Bref, le discours de miss France avec le ton de Joey Starr. La naïveté suprême de se croire rebelle tout en reprenant la panoplie entière des idéologies de l’époque : écologie bien, racisme pas bien, tolérance bien, etc… pas une idée originale, que de la pose, et c’était de ça dont j’aurais dû apprendre quelque chose ?

  Arpentant les rues d’Aulnay-sous-Bois, je me disais qu’il vaudrait mieux démissionner car cela devenait trop déprimant. Mais démissionner pour faire quoi ? Me retrouver au milieu des gens à la recherche d’un emploi, alors que la crise ne faisait que commencer ? Et puis, avec mes problèmes de santé récurrents, il valait mieux que je reste à ma place, donc comme tout le monde, je me taisais, je fermais ma bouche tout en me demandant quand la situation s’améliorerait enfin. En regardant les gens déambuler autour de moi, ce n’est pas la solution mais le problème qui m’apparaissait dans son symptôme le plus concret. Personne ne se parlait, personne ne se souriait, chacun marchait tête baissée. De temps à autre, j’aimais à saluer une personne dont je croisais le regard. J’imaginais que les gens le faisaient autrefois, et j’étais nostalgique de ce passé qui n’avait peut-être jamais existé. Mais bien mal m’en prenait, car les gens ne souhaitaient pas qu’on les saluât. Au mieux ils m’ignoraient, au pire ils me lançaient un regard énervé. Quant aux jeunes femmes, élevées au grain de la mannequin trop belle, trop chère et qui fait la gueule, ce n’était même pas la peine de rêver, vous n’aviez pas droit au moindre regard.
  Et c’est ainsi, par petites touches, que montait en moi la frustration. La moindre chose pouvait me rendre fou. Je me demandais pourquoi, lorsque je conduisais et que je m’arrêtais pour laisser passer un piéton, pourquoi trois fois sur quatre ce piéton ne se fendait même pas d’un signe de la main ou d’un regard reconnaissant. Pourtant, un simple sourire égayait ma journée, me remplissait de joie, mais c’était déjà trop demander. Les gens n’étaient pas heureux, ils n’avaient pas spécialement envie que d’autres le soient davantage.

  Lorsque je revins au travail, après quelques jours d’arrêt-maladie, je fus convoqué par le principal de mon établissement. Ce n’était pas la première fois, il adorait me convoquer pour me faire des remontrances. À chaque fois j’avais envie de lui demander s’il était médecin pour juger de mes arrêts, mais je préférais me taire. Cette fois-là ne fut pas différente : « M. Lassalle, je vous ai demandé de venir parce que ce n’est plus possible. Les parents sont en train de monter au créneau, ils appellent pour savoir ce qui se passe, et nous on ne sait pas quoi leur répondre. ». C’est vrai qu’il était sans doute trop difficile d’expliquer à des parents qu’un professeur pouvait parfois être malade. Je regardais cette homme minuscule qui se prenait pour un général, qui me parlait de façon agacée et agressive, comme si le stress allait doper mon système immunitaire. En le regardant du haut de mes 1m85 vers le bas de ses 1m55, je ne pouvais m’empêcher de penser à la phrase « quand les grands parlent, les petits se taisent ». Ce microbe lilliputien qui n’avait jamais inspiré le moindre respect à quiconque de toute sa vie, se croyait autorisé à me faire la leçon et à me prendre de haut ?
  Alors qu’il continuait son imitation crédible d’un moulin à parole, et se montrait de plus en plus menaçant dans ses propos (je ne l’écoutais pas mais entendais ça et là jaillir les mots « sanctions » et « répercussions »), je ne pouvais m’empêcher de penser combien il serait facile de l’écraser comme une punaise. Quelques instants plus tard, je savais que j’aurais droit au deuxième temps de cette technique du « good cop/ bad cop ». Il m’agressait et se montrait dur, puis son adjointe arriverait et se montrerait beaucoup plus conciliante. Mais me rendre compte de cette vieille technique de manipulation psychologique qu’on voyait dans n’importe quelle série policière américaine m’énervait encore plus. Je l’avais déjà subie à plusieurs reprises de la part de ce roquet, et j’en avais assez.
  Malgré cela, je restai là, à l’écouter, parce que dans l’éducation nationale d’aujourd’hui, même les syndicats vous disaient bien de « respecter la hiérarchie » et de faire « profil bas ». Le soir, j’irais faire un tour au bistrot pour me changer les idées.











CHAPITRE II



  Lorsque je vis la tête de mes potes Mohamed et Frank en arrivant au bistrot, je compris tout de suite qu’on jouerait sans doute à celui qui avait eu la journée la plus pourrie. Mais à ce petit jeu, c’était toujours Mohamed qui gagnait. Frank était fonctionnaire, tout comme moi, donc aussi pourries soient nos journées, on risquait toujours moins  que notre ami d’origine marocaine qui bossait tous les jours à l’usine, à assembler des voitures.
  - Comment vont l'OS et la flicaille ? demandai-je en leur serrant la main.
  - Complètement vanné, répondit Momo.
  - J'expliquais à notre maghréboïde préféré que je ne supporte plus ses potes de couleur
  - Hé, la flicaille! rétorqua Mohamed. Je t'ai déjà dit de ne pas me mettre dans le même sac que tous ces cons de dealer de shit. Moi je me démène le cul toute la journée à bosser pour gagner ma croute.
  - Ouais mais c'est vrai que tu restes un maghréboïde, ajoutai-je en plaisantant.
  - Pff… vous êtes cons les gars !

  J'adorais ces moments où je retrouvais mes amis au bistrot. Nous étions un petit groupe d'habitués qui nous retrouvions là presque tous les soirs, après le travail. Frank "la flicaille" avait toujours des histoires sympas à nous raconter. Il faut dire que dans son boulot, il voyait vraiment tout et n'importe quoi à longueur de journée. C'était un homme grand, bien bâti, arborant une moustache qui était une ode à tous les clichés sur la police française. Quant à Mohamed "l'OS", il était ouvrier spécialisé sur une chaine de montage de voitures. Il n'était pas bien grand, peut-être 1m70, et était tout fin. Comme tout notre groupe, il allait doucement sur ses 30 printemps. Mais ce que je préférais chez lui, c'était ce mélange totalement réussi entre un musulman très pratiquant et un esprit gaulois entièrement revendiqué. Il n'était pas le dernier pour nous sortir des blagues grivoises, et voir le visage effaré des gens lorsqu'ils l'entendaient s'époumoner sur des chansons paillardes et se rendre compte que c'est un maghrébin qui les chantait valait vraiment le coup d'œil.
  Les deux derniers membres de notre groupe, Alain et Alex, arrivaient toujours un peu plus tard. Alain "le Conspi" passait son temps sur son ordinateur. Il gagnait sa vie en faisant des petits boulots d'informatique à droite à gauche. On l'appelait "le Conspi" parce qu'il nous parlait toujours de théories du complot, de choses cachées que les médias tairaient volontairement. Même si je l'avais longtemps pris pour un fou parce qu'il allait souvent très loin, j'avais fini par apprécier les informations qu'il nous amenait. Cela avait le mérite d'animer les conversations, surtout avec Alex, notre "Journaleux".
  D'ailleurs, ce jour-là, ils arrivèrent ensemble et la conversation avait visiblement déjà commencé sur le chemin. Alain soupçonnant Alex d'être au courant de grands secrets parce qu'il travaillait dans la presse, et Alex rétorquant, comme à son habitude : "Je bosse pour le journal de la ville, tu crois vraiment que j'ai des informations cachées ?".
  Ils commandèrent deux bières puis vinrent s'asseoir avec nous. Nous trinquâmes à la santé de la France. Notre journaleux nous expliqua qu'il avait eu un entretien d'embauche avec la rédaction de France télévision et que ça s'était bien passé. Alain en fut ravi :
  - Ah ben voilà ! Tu vas pouvoir nous amener des infos croustillantes maintenant. Tu sais que le président de l'Europe là, Herman Von mes couilles, vient de décider que les budgets des états de la zone euro seraient dorénavant décidés par le conseil de l'Europe et l'Eurogroupe ? Déjà que c'était la commission européenne qui décidait de toutes les lois pour la France, maintenant ils vont aussi diriger notre économie ! Dis-moi on vote pour quoi déjà ? Moi je me souviens pas avoir voté pour la commission ni pour le président de l'Europe ! Et tout ça, les médias français, ils n'en parlent pas. Pas un mot !
  - On vote quand même pour le parlement européen, répondis-je naïvement.
  - Le parlement ? Tu me fais une blague de prof c'est ça ? Le parlement européen ne sert à rien. C'est pour ça que c'est la seule composante pour laquelle on vote. Le parlement européen n'a aucun pouvoir, c'est juste une chambre d'enregistrement qui valide tout ce qu'on lui propose. Est-ce que tu sais que la commission européenne, pour qui on n'a pas voté, a un monopole d'initiative ? Ca veut dire qu'il n'y a qu'eux qui peuvent proposer des lois. Le parlement n'a pas le droit d'en proposer, ce sont juste des guignols bien payés pour fermer leur gueule, et dire oui à tout ce qu'on leur présente. Et les médias qui disent rien, qui expliquent rien sur l'Europe. A part pendant les élections européennes, on n'en entend jamais parler, de Bruxelles. D'ailleurs tout le monde s'en fout de ces élections, les gens ont compris que ça servait à rien, ils préfèrent aller à la pêche. Je parie qu'aucun de vous n'a voté aux dernières européennes. Alors ? Voilà j'en étais sûr.
  - Si si ! intervint Momo. Moi j'ai voté.
  - Me dis pas que t'as voté pour les gauchos du NPA ? demanda Frank.
  - Le NPA ? Pourquoi, parce que je bosse en usine ? Je crois qu'il n'y a jamais un ouvrier qui a voté pour le NPA. Les gauchos c'est un truc d'étudiants puceaux ou de bobos qui se donnent bonne conscience. A la limite, si les cocos étaient pas morts et enterrés, je dis pas…
  - T'as voté pour qui alors ?
  - Bah je suis d'accord avec notre conspi, les européennes ça sert à rien, donc pour me marrer un peu j'ai voté Dieudo.

  Il y eut un blanc dans la conversation, comme si le nom de l'antéchrist avait été prononcé. Voter pour Dieudonné, l'homme qui a serré la main à le Pen, qui a même fait parrainer sa fille par le leader du Front national, Dieudonné le nazi noir, la bête immonde réincarnée, l'Hitler couleur carbone ! Je ne pus m'empêcher de poser la question :
  - Mais… tu sais qu'il est antisémite ?
  - Antisémite ? Tu rigoles ? J'ai pas raté un seul de ses spectacles et je peux te dire que ceux qui en prennent plein la tronche avec Dieudo c'est surtout les musulmans et les noirs. Si tu voyais son sketch sur les terroristes du 11 septembre tu comprendrais. Mais justement il faut savoir rigoler de soi-même c'est pour ça qu'il me fait marrer. Après, j'ai pas tout suivi de la campagne européenne, mais bon je sais qu'il parlait d'Israël et de liberté d'expression, et puisque ces élections ne servent à rien, au moins j'ai pu lui donner mon soutien.
  Nous restâmes sans voix quelques instants, y compris notre camarade conspi qui se faisait un point d'honneur de ne jamais parler de ce qui pouvait toucher aux juifs. Il m'avait confié un jour avoir eu entre les mains un exemplaire des "protocoles des sages de Sion" mais bien conscient de sa tendance à croire aux théories du complot, il s'était refusé à le lire. Il disait toujours que ce qui gangrène le conspirationnisme ce sont les dérives antisémites que cela provoque. En refusant de tomber là-dedans, il se voulait un conspirationniste "sérieux".
  Ça me faisait rire d'entendre parler de Dieudonné comme s'il était un chef de guerre important. Je n'avais rien vu de lui depuis près de dix ans et me demandais comment on pouvait dériver à ce point. Sans doute ses spectacles s'étaient-ils transformés en meetings de haine, en tous cas je ne devais pas perdre grand-chose, cela ne devait pas être très drôle à regarder pour un comique.
  Frank nous raconta sa journée au commissariat. Apparemment, notre police s'occupait d'un meurtre un peu particulier. La victime avait été tuée d'un coup de revolver au niveau du front, mais ce qui était bizarre, c'est que l'on avait retrouvé deux gros dés à côté de son corps. L'analyse avait montré que ces dés portaient des empreintes digitales qui appartenaient probablement au tueur, puisqu'elles ne correspondaient à personne de la famille. En y repensant alors que je regagnais ma voiture, je me disais que le monde était vraiment devenu pourri. Tuer quelqu'un chez lui, sans raison puisque rien n'avait été volé, et en laissant des dés derrière soit, c'était vraiment incompréhensible. Quoi ? Ils avaient fait une partie de Yams avant de s'entretuer ?
  Mais le quotidien me sortit de ma réflexion : pour avoir dépassé mon temps de stationnement de cinq minutes, j'avais évidemment pris une amende. Quel monde de merde…







CHAPITRE III


  - Bah alors, t'en fais une tête ! s'exclama Frank.
  - Encore une journée à la con… répondis-je, désabusé.
  - Toujours aussi chiants les élèves de banlieue ?
  - Oui mais pas seulement. Déjà hier, en partant d'ici, je me retrouve avec une amende de 11 € pour avoir dépassé de cinq minutes. Et bien ce matin, j'ai eu droit à 135 € ! Je me demandais pourquoi il y avait des travaux depuis trois semaines sur mon trajet vers le collège, maintenant je sais. Ils étaient en train de transformer la deuxième voie en voie de bus. Je prends tellement souvent cette route que je n'ai pas fait gaffe et évidemment j'ai roulé dessus. Au bout de 200 mètres, tes copains m'ont fait me ranger sur le côté. J'ai eu beau leur expliquer, ils s'en foutaient. Je voyais bien qu'ils n'étaient pas méchants mais on aurait dit des robots "mauvaise voie = amende". Putain, 146 € en deux jours, je vais pas pouvoir tenir longtemps comme ça moi.
  - C'est vrai qu'on a l'impression de se faire ponctionner de plus en plus, ajouta Alex. Ils ont ajouté un nouveau radar sur le périph, j'en suis déjà de trois points en trois mois, et 45 € à chaque fois.
  - J'ai du mal à comprendre, ils savent bien que cette voie de bus est nouvelle, ils ont bien vu que j'étais de bonne foi, pourquoi ils ne me laissent pas partir avec un avertissement au lieu de me racketter immédiatement ?
  - C'est compliqué tu sais, y'a des collègues qui le font parfois mais t'as pas idée de la pression qu'on nous met avec la politique du chiffre. Te prendre sur une voie de bus, c'est compté comme une affaire résolu pour le collègue.
  - Attends tu plaisantes ?
  - Non, ça compte pour les statistiques du collègue. Et surtout ça fait rentrer de l'argent dans les caisses de l'Etat. On sert à ça aujourd'hui.
  - Et les contrôles au faciès auxquels j'ai droit régulièrement, ça fait rentrer de l'argent dans les caisses aussi ? intervint Momo.
  - Ben oui et non. On est censé essayer de chopper des clandos, mais ça peut aussi rapporter, y compris au collègue…
  - Hein ?
  - En fait, les mecs qui se font régulièrement contrôler ont tendance à s'énerver. Avec le peu de respect auquel on a droit, il n'est pas rare d'avoir droit à des insultes, c'est comme ça aujourd'hui. Du coup certains collègues portent plainte pour injure, et demandent des dommages et intérêts au tribunal. Ca permet d'arrondir les fins de mois…
  - Et s'occuper des petits dealers qui vendent leur merde à 300 mètres de mon bahut, ça fait encore parti de votre boulot ou pas ? questionnai-je.
  - Ben pas vraiment. Faut comprendre que lorsque Sarkozy est devenu ministre de l'intérieur sous Chirac, il a imposé une nouvelle politique dans la maison. Il fallait convaincre les gens d'éviter les plaintes au maximum, et plutôt de déposer des mains courantes, ça fait baisser les statistiques de criminalité. Il fallait également mettre des radars partout pour faire baisser le nombre de morts sur les routes, tout ça faisait bien sur son bilan avant de se présenter à la présidentielle.
  - Tu parles! intervint notre conspi. Ce qui a fait baisser les statistiques de morts sur les routes, ce sont les voitures de plus en plus sûres grâce à la direction assistée, aux airbags et à tous ces trucs électroniques qu'ils ont ajouté ces dernières années sur nos bagnoles. La preuve, c'est que les morts sur les routes ont baissé dans tous les pays développés, y compris ceux qui n'ont ajouté aucun radar automatique. Mais ils ont utilisé ça pour nous prendre du pognon sans qu'on puisse rien y redire. Qui va aller gueuler contre les radars quand en face on te répond "ah bon ? Vous vous en fichez que les gens meurent ?". Et quand certains commencent à en avoir marre, ils te font venir au journal de 20h une nana en sanglots parce qu'elle vient de perdre un de ses fils dans un accident de voiture, et que le deuxième est paralysé et à moitié gâteux pour le restant de sa vie. Evidemment, la ménagère qui voit ça sur TF1, elle chiale tout de suite et du coup on se fait enfler. Elle nous aura bien pourrit la vie cette ménagère de moins de 50 balais. À chaque fois qu'on lui montre un estropié, pas de secret il faut raquer : les myopathes du téléthon faut raquer, les fiottes qui choppent le sida faut raquer. Y'a même une connasse mariée à un chanteur qui a perdu un fils ou une fille, je sais plus et je m'en contrefous, et qui vient réclamer qu'on donne nos plaquettes de sang. Et ben la nana, elle sait qu'on va chialer sur la mort de son gosse, donc elle prend même pas de gants, elle va de plateau en plateau et nous engueule derrière notre écran, elle dit qu'on fait pas assez, que les français sont égoïstes, bref elle nous emmerde tout le temps alors qu'elle fout rien de ses journées parce qu'elle est bourrée de fric. Et ça vient nous donner des leçons. Moi je vous le dis, les gars, à chaque fois qu'on nous fait chialer sur une tragédie à la télévision, tu peux être sûr qu'on nous encule à sec !
  - Tout cela ne répond pas vraiment à ma question sur les policiers et les dealers de shit, repris-je en rigolant, amusé par la verve d'Alain.
  - Ben en fait, à côté de ce travail sur la baisse des statistiques de la criminalité, Sarkozy voulait absolument éviter la moindre bavure. Ce qui est chiant avec les dealers, c'est qu'ils se croient intouchables, donc l'incident n'est jamais très loin et il faut parfois employer la force pour les maîtriser. Mais avec les portables aujourd'hui, ces interventions sont systématiquement filmées, et même une intervention réussie, sans aucun coup porté, ça passe mal sur un écran. Sarko ça lui aurait porté un coup fatal si une affaire était sortie, et on a donc eu des ordres de ne rien faire qui pourrait nous amener à une situation où l'on devrait utiliser la force.
  - C'est quand même extraordinaire ça ! Donc en fait vous ne faites rien pour des raisons de com' ministérielle ?
  - Grosso modo c'est ça. D'ailleurs quand il y a eu les émeutes il y a quelques années, c'était clair non ? On a laissé les racailles brûler les quartiers et on n'a strictement rien fait pour les arrêter. Parce que devant de tels mouvements de foule, je vois pas comment on aurait pu éviter au moins un mort. Et là, ça aurait été monté en épingle dans les médias, les violences auraient redoublées, et Sarkozy aurait été fini. Bon y'a aussi les collègues qui sont jeunes dans les quartiers difficiles, et du coup ils sont pas toujours très chauds pour prendre des risques, mais faut comprendre que tout cela se cumule. On n'a pas envie de prendre un risque de se faire poignarder, mais si en plus on a peur de se faire suspendre si on a osé se défendre, alors là y'a vraiment plus aucune raison d'aller prendre des risques. Distribuer des PV au populo, c'est quand même moins risqué. Ils te gueulent parfois un peu dessus, mais le citoyen honnête, quand tu l'emmerdes, il la ramène pas, il casque.

  Fatigué de devoir payer pour rouler, je décidai de rentrer chez moi à pied. Le sentiment que quelque chose n'allait pas dans la France d'aujourd'hui me hantait et j'avais besoin d'y réfléchir. J'avais l'impression, à chaque conversation avec mes amis, d'effleurer la vérité, de m'approcher de la bonne analyse mais qu'en même temps il me manquait des choses pour comprendre. "Quand on ne sait rien, on ne peut rien comprendre" : cette phrase trottait dans ma tête, je l'avais entendu quelque part, je ne savais plus où, sans doute dans une émission inintéressante, mais tel était mon état d'esprit : j'avais l'impression de ne rien savoir, et que quelqu'un, quelque chose, m'avais plongé dans cet état d'ignorance justement pour que je ne comprenne rien à mon mal- être.
  J'habitais au sud d'Aulnay, la cité se trouvait de l'autre côté de la ville. Pourtant, tout était dégueulasse. Des éclats de bouteilles de bière jonchaient les trottoirs, des barquettes de kebab avaient été jetées au bord de la route, alors qu'une poubelle se situait à moins de deux mètres plus loin. Pourquoi les gens pourrissaient-ils leurs quartiers ? En quoi eut-il été difficile de faire deux pas pour mettre cette barquette dans la poubelle ? Même lors des émeutes de banlieues, ah non pardon il parait qu'il fallait les appeler "révoltes sociales", les gens avaient brûlé leur propre quartier, la voiture de leur voisin, leurs propres écoles maternelles. À chaque fois qu'on parlait du caillassage des voitures de flics dans la rue, il y avait toujours un gauchiste à la con pour expliquer qu'il fallait comprendre ces pauvres jeunes qui étaient dans des situations très difficiles et qui se faisaient régulièrement contrôler par la police. Il paraissait aussi que les policiers ne les traitaient pas avec respect et donc qu'une haine se serait instaurée et que cela expliquerait, à défaut de le justifier, que les policiers prissent des cailloux à longueur de journée. Moi je voulais bien entendre cette explication, mais alors, pourquoi la même chose arrivait-elle aux pompiers ? Et aux ambulanciers ? Ces gens qui venaient pour sauver leur vie, pourquoi leur envoyaient-ils des pierres ? L'explication ne tenait pas une seule seconde, mais je n'arrivais pas à en trouver une autre, et je restais donc avec ma perplexité et mon sentiment que quelque chose n'allait plus dans ce pays.
  J'étais presque arrivé chez moi. Le quartier était tranquille mais chaque mur avait perdu sa blancheur au profit de tags plus ou moins réussis. De toute façon, réussis ou non, c'était toujours moche. Du nombrilisme la plupart du temps, où des jeunes imbéciles totalement incultes écrivaient leur surnom dans les couleurs les plus criardes possibles, ou alors des slogans à la con du genre "fuck la police". Je sentais confusément que l'emploi si fréquent du mot anglais "fuck" devait faire partie de l'explication… qu'est-ce qui n'allait pas dans ce pays…?
  Dans ma rue, il y avait quelques arbres dont les feuilles dansaient avec le vent. Ca aurait pu être agréable à regarder si même sur les troncs, à même l'écorce, n'avaient pas été tagués ces "fuck la société". Un étron sur les troncs qui rendait tout merdique, même un joli platane.
  Mon bâtiment n'était pas terrible, la cage d'escalier, très étroite, arborait un apparat peu séduisant : tapisserie décollée avec des trous dans le mur et des marques de griffures, carrelage fissuré en de nombreux endroits, boîtes aux lettres enfoncées, fils électriques qui pendaient du plafond… Il n'y avait pas d'ascenseur mais c'était tant mieux car s'il y en avait eu un, je n'ose même pas imaginer dans quel état il se serait trouvé.
  Mon appartement se situait au deuxième étage. Il n'était pas dans un mauvais état mais les couleurs étaient ternes. J'avais contrebalancé cela en installant quelques peintures de mon grand-père dont les couleurs vives me redonnaient un peu le moral. Assis sur mon fauteuil, je me plaisais à contempler longuement le tableau d'un volcan dont l'éruption embrasait le ciel. Mon appartement n'était pas bien grand, les prix de l'immobilier à Aulnay-sous-Bois ne permettait pas à un fonctionnaire de louer quelque chose de beaucoup plus spacieux. Dans le salon, en plus du fauteuil, j'avais installé un petit canapé de couleur bleu avec des motifs japonais, dans l'espoir de pouvoir être bien installé quand je ramènerais une jeune demoiselle. Mais en un an, il ne m'avait pas servi une seule fois car je ne recevais jamais personne, ni demoiselle, ni amis. Sur mon étagère blanche, à côté des manuels scolaires, j'avais installé un humidor pour stocker mes cigares. J'adorais fumer à la nuit tombée, pour me perdre dans mes pensées avant de regagner le royaume des songes. Ma chambre était assez dégarnie : un matelas posé à même le sol, une petite étagère pour ranger quelques livres, dont je n'avais pas lu les trois quarts, et c'était tout. Sur le rebord de la fenêtre, un vilain pigeon gris avait fait son nid et couvait ses œufs. J'aurais pu le chasser, d'autant que le rebord était devenu un dépotoir à cause de lui, mais il y avait quelque chose de touchant dans cet être qui vivait à côté de moi. Nul doute que lorsque les petits se mettraient à piailler tous les matins pour réclamer leur becquée, je regretterais ma décision de ne pas avoir réglé tout ça d'un coup de balai lors du dépôt des premières brindilles.
  Je me rendis à la cuisine pour préparer des pâtes, bien que je n'en eusse pas tellement envie. La cuisine était mal entretenue, l'évier était sale, la vaisselle trainait un peu partout et les cartons d'emballage s'amoncelaient sur la table. Il me faudrait une femme pour nettoyer tout ça, pensai-je alors. Mais aussitôt, la partie "prof" de mon cerveau, donc naturellement pro-féministe, s'offusqua de ma remarque. J'aurais pu culpabiliser d'avoir été un méchant macho, mais la seule chose qui me vint à l'esprit à cet instant fut simple et définitif : "la partie "prof" de mon cerveau, à aujourd'hui, je l'emmerde !"







CHAPITRE IV



  Ça fait trois jours que je manque le travail. En me réveillant mardi dernier, mes jambes bougeaient à peine et je voyais flou. Cela m'était arrivé plusieurs fois ces derniers mois, et cela expliquait mes absences régulières au travail. Cette fois, j'avais été hospitalisé une journée pour faire des tests. Mes médecins cherchaient ce qui pouvait bien arriver à mon corps mais ne trouvaient pas. J'entendis parler de possibilité de SEP mais je ne savais pas ce que c'était. Apparemment, j'étais dans la tranche d'âge où se déclenchaient généralement les premières crises de SEP. Alors on me mit dans un grand tube pour ausculter mon cerveau, ou je ne sais quoi. Ce fut un moment assez terrible. Enfermé dans ce bocal, ayant du mal à respirer, dans l'impossibilité de bouger la tête ou quoi que ce soit d'autre, avec le sentiment que le monde avait rétréci jusqu'à n'être plus que ça, ce mince espace entre ma tête et ces parois froides, inquiétantes, annonciatrices de mauvaises nouvelles. Une voix tentait de me rassurer, de me dire que ça ne prendrait pas longtemps, mais ce ton métallique sorti d'un micro m'angoissa encore davantage, comme si l'humanité n'existait plus et que la seule altérité qui me restait dans cette terre creuse était cette voix de robot.
  Grâce au ciel, l'examen prit fin, et vint ensuite le temps des résultats. Encore une fois, on ne trouva rien, pas de tumeur, juste quelques traces dans la matière blanche qui pouvaient effectivement être un signe de SEP, mais on ne pouvait rien conclure. On m'expliqua alors que SEP signifiait sclérose en plaques et qu'il était très difficile d'établir un diagnostic définitif de cette maladie à sa première occurrence. Des infirmières plutôt moches vinrent m'administrer quelques drogues et je pus rentrer chez moi.
           
  Ma vision partiellement revenue et mes jambes m'obéissant à nouveau, quoique difficilement, je pus retourner à mon travail le vendredi. Cette année, j'étais professeur d'anglais remplaçant une collègue partie en congé maternité. J'avais à la fois des classes de collège et de lycée, qui m'accueillirent toutes en me disant que je ne leur avais pas manqué. Mais c'était dit sans méchanceté, avec le petit sourire en coin qui signifie "vous nous connaissez Monsieur, on vous aime bien mais on préfère quand même ne rien foutre". Quelques filles de troisième remarquèrent que je boitillais et vinrent me demander des nouvelles, en minaudant légèrement. L'une d'entre elles, Bettina, passait son temps à me regarder en souriant. Elle venait presque toujours à la fin des cours pour me parler un peu, pour me demander des conseils sur la façon de progresser. Une jeune fille blonde de 15 ans, au corps très mince, aux cheveux longs et au visage d'ange, qui visiblement s'était amourachée de son professeur. C'était assez agréable pour moi de la voir faire son numéro de charme maladroit, ingénu, et d'une tendresse que seules les filles de cet âge-là peuvent donner, quand elles ne connaissent encore rien à la séduction. Toujours tendre et toujours souriante, c'était agréable mais très dangereux pour un jeune professeur comme moi. À 27 ans, des parents se plaignant d'une relation ambiguë entre leur fille et son professeur était la dernière chose dont j'aurais eu besoin. Même si de mon côté il n'y avait aucune ambiguïté, c'était une situation à risque, au moins du point de vue des apparences.
  Comme souvent le vendredi, parce que les élèves sont fatigués de la semaine, les cours furent assez difficiles, demandant d'être constamment sur le qui-vive pour ne rien relâcher. En une seconde, un cours pouvait basculer et devenir n'importe quoi. Depuis longtemps par exemple, j'avais appris à ne jamais faire la moindre blague en cours, sauf dans les dernières minutes. Les élèves, essentiellement les garçons, ne pouvaient s'empêcher de répondre à une blague en essayant d'en faire une meilleure, ce qui amenait un autre élève à essayer lui aussi et ainsi de suite. Une légère baisse dans le sérieux et le cours devenait n'importe quoi, il était alors très difficile de ramener le calme sans distribuer quelques punitions. Cette obligation de ne jamais se relâcher pendant les cours était devenu de plus en plus pénible pour moi. J'aurais aimé être détendu, pouvoir leur apprendre l'anglais dans un climat agréable, joyeux mais ce n'était pas possible. Pourtant l'anglais était une matière propice aux petits jeux, mais à chaque fois c'était la même chose : ça commençait bien puis au bout de quelques échanges, ça tournait au chaos. La seule manière de remettre de l'ordre était alors de stopper l'activité et de crier un bon coup mais j'en avais assez de crier. Finalement, faire du ludique générait du ressentiment de part et d'autre. Moi j'en voulais aux élèves de ne même pas savoir se contrôler alors que je leur faisais apprendre tout en s'amusant. Eux m'en voulaient de ne pas les laisser s'amuser. C'était perdant pour moi sur toute la ligne. Au final, je compris qu'il valait mieux que les élèves dissent que le cours était "chiant" mais qu'ils fussent calmes plutôt que de leur faire plaisir et d'avoir le bordel. Les élèves c'est de la merde, il faut bien le dire…

  À la pause je retournai en salle des profs. Elle était composée de deux salles. La première, assez grande, composée de petits sièges en faux cuir assez confortables, de tables pour pouvoir corriger des copies et d'un petit bar, sans boissons malheureusement, où les professeurs pouvaient s'asseoir pour déjeuner ou pour discuter. Généralement, ce bar était monopolisé par un groupe de profs qui ne se mélangeait pas aux autres. Car oui, même au sein du corps professoral, il y avait des clans. Les anciens et les nouveaux ne se mélangeaient pas vraiment. J'avais baptisé le clan du bar "la ruche", parce qu'à sa tête se trouvait une jeune prof blonde, plutôt jolie et fine, un peu comme mon élève de troisième mais sans la naïveté. Elle avait très bien compris au contraire comment se servir de son cul sans en avoir l'air pour être la reine des abeilles ou milieu des ouvrières. Au niveau éthologique, c'était très intéressant à observer bien que parfaitement gerbant pour moi. Autour de cette reine des abeilles tournait un petit groupe de quatre ou cinq profs mâles, qui transpiraient d'envie de la sauter mais n'osaient pas tenter leur chance. Ils restaient là, autour d'elle, à essayer de la faire rire, de lui raconter des choses intéressantes, heureux qu'elle daigne les écouter et même leur faire un sourire parfois. Une sorte d'amour du chien pour sa maîtresse, qui vient lui lécher les pieds mais fait très attention de ne jamais rien faire qui pourrait lui valoir un coup de pied au cul. En plus de ce groupe de garçons - je ne peux pas consciemment appeler ça des hommes - il y avait aussi deux ou trois profs femelles. Bien sûr, comme dans tout groupe dominé par une femelle alpha, les autres filles étaient toutes des boudins, ou en tous cas étaient bien moins jolies que la reine. Car cette dernière n'aurait évidemment pas pu supporter de voir son emprise sur les mâles mise en danger par une autre femelle désirable.  Les autres filles, même si ce n'était pas conscient et qu'elle l'aurait nié si on lui en avait fait la remarque, n'étaient là que pour mieux la mettre, Elle, en valeur. C'était très amusant à observer, d'autant que ces chiens-chiens ne la sauteraient jamais. D'ailleurs, lorsque la reine se mettait en couple, c'était toujours avec un mâle hors du cercle, un beau mec assez viril qui généralement la traitait mal. Comment aurait-elle pu être attirée par ces demi-fiottes qui lui étaient déjà entièrement acquis ? Un toutou, c'était agréable pour se faire distraire entre deux cours, mais ça n'excitait pas une jolie femme. Elle ce qui lui fallait c'était un mâle dominant justement, mais eux se contentaient de leur condition de toutou à leur maman. J'imagine qu'ils devaient s'user les mains en pensant à elle le soir venu, ou qu'ils baisaient leur laideron en s'imaginant coucher avec elle, ce qui aurait horrifié la reine si elle s'en était douté alors qu'objectivement, elle faisait tout pour. Personnellement, elle avait essayé de m'attirer dans son cercle au début de l'année mais n'étant pas soumis de nature, elle s'était très vite lassée de moi. N'étant pas assez aux ordres pour faire un bon toutou ni sans doute assez beau pour être digne de l'accouplement j'avais été balayé de façon assez inélégante, ne recevant plus d'invitations pour les soirées du groupe, du jour au lendemain.
  Dans la deuxième pièce de la salle des profs se trouvaient les casiers. J'ouvris le mien, pour découvrir un petit mot du secrétariat du principal me demandant, encore une fois, de passer dans le bureau de ce grand homme lilliputien. "Un moment agréable en perspective" soupirai-je.






CHAPITRE V

 

  Je suis arrivé au café plus tôt que d'habitude ce soir là. J'avais une furieuse envie de boire, et de boire beaucoup. Il cherchait quoi, ce principal ? À ce que je lui mette ma main dans la gueule ? Je savais bien que nous les profs, nous étions des sortes de tapettes dévirilisées, effrayés par le moindre signe de violence, mais là ça commençait sérieusement à me démanger. Je croisai le regard de Guy, le patron du bistrot, qui s'aperçut tout de suite de mon énervement mais il n'essaya même pas d'entamer la conversation. Il avait ses propres problèmes et aucune envie de s'emmerder avec les miens.
  - Sers-moi un whisky, s'il te plait. Je suis vénère, j'ai besoin de décompresser.
  - T'es "vénère" ? Tu parles comme la racaille de ton bahut maintenant ?
  - Oui, rétorquai-je. Rien à foutre du français ! Pardon, du céfran. Il parait que tous ces blaireaux qui ne savent pas écrire une phrase sans faire trois fautes sont de grandes chances pour la France, qu'ils sont notre avenir. Et bien j'aime autant te dire que si c'est ça notre avenir, on n'a plus qu'à se tirer une balle.
  - Bah en même temps c'est ton boulot de leur apprendre, répondit-il d'un air absent.

  Je vis à quel point tout ça ne l'intéressait pas et préférai siroter mon breuvage en jouant seul l'animal plein de rage. Je regardais la salle autour de moi. Elle était aussi vide que le cerveau de mes élèves. Je compris pourquoi il se foutait de mes problèmes, le chiffre d'affaires ne devait pas être terrible à la fin du mois. Après quelques minutes, une jeune femme brune qui, à en juger à son tailleur et à sa coiffure bien apprêtée, sortait vraisemblablement du travail, s'installa à une table dans un coin, prêt d'une plante en plastique assez moche. La fille, par contre, était plutôt jolie, mais elle me lança un regard noir quand elle vit que je l'observais. Le genre de regard qui dit "je ne suis pas intéressée, bouge de là !". Je détestais ça. Je détestais me faire jeter sans avoir rien demandé, et j'avais envie d'aller la voir pour lui balancer tout ça. La scène se jouait dans ma tête. Je m'approcherais d'elle pour lui dire d'un ton sec : "dis donc, connasse, c'est pas ma faute si le vide intersidéral de ce bar a fait que mon regard a été attiré par la seule personne qui a daigné entrer dans les trente dernières minutes. Je suis désolé que le balai qui hante ton anus soit enfoncé si profondément qu'il te rend douloureux le moindre regard posé sur toi. Mais dorénavant, évite ce genre de petit air méprisant, sinon le balai, c'est dans ta gueule qu'il va finir !".
  Bien sûr, j'étais incapable de le faire vraiment, mais ça me détendait d'y penser. D'un autre côté, c'était peut-être ça mon problème. Encore une fois, je me faisais toute une scène dans ma tête mais je ne passais jamais à l'acte. Comme avec le principal de mon collège. J'emmagasinais les pensées violentes sans avoir le courage de les transformer en quelque chose de concret.
  Bien décidé à agir pour une fois, je me levai brusquement de ma chaise mais lorsque je me retournai, je me retrouvai nez à nez avec mon ami Mohamed.
  - Salut mon pote… me salua-t-il doucement, la mine déconfite.
  - Qu'est-ce qui t'arrive, tu n'as pas l'air bien.
  - La misère au boulot… répondit-il en faisant signe au patron de lui servir une limonade. Cette fois ça se précise, y a des rumeurs selon lesquelles l'usine va être délocalisée.

  Nous nous assîmes au bar mais ne sachant pas trop quoi répondre, je préférai rester silencieux et l'écouter.
  - Tu sais, dans mon secteur, on s'y attend à tout moment. T'as les chinois et les indiens, ils bossent pour que dalle. Tu leur files un bol de riz, c'est déjà énorme pour eux. Et franchement, on ne voit pas pourquoi l'entreprise se priverait, ils délocalisent tous. Mais là ça se précise sérieusement… y a le délégué syndical qui nous a dit que son chef était appelé dans le bureau du grand patron. Crois-moi qu'ils ne vont pas discuter augmentation de salaire, s'ils l'appellent c'est pour négocier les conditions de licenciement, c'est clair et net…

  Il sirota sa limonade, sa main légèrement tremblante. Son regard semblait vide, comme s'il avait été frappé d'une tragédie inéluctable, et c'était peut-être le cas. Frank et Alain arrivèrent aussi et vinrent s'asseoir près de nous après avoir commandé leurs bières. Il riaient à gorge déployée mais après un simple coup d'œil vers notre OS, ils comprirent que quelque chose n'allait pas et firent silence. Frank se pencha vers moi et me demanda ce qui se passait en chuchotant. Alain tendit aussi l'oreille et je leur fis un résumé de la situation. Mohamed ne s'était même pas aperçu qu'ils étaient à la table, mais il finit par relever les yeux quand Alain s'adressa à lui :
  - Je suis désolé pour toi mon pote. Franchement, si c'est vraiment ça, c'est moche.
  - Je le sens venir… répondit Mohamed dans un soupir.
  - Oh tu sais, tu retrouveras du boulot, t'as beaucoup d'expérience ! intervint Frank, pour rassurer son ami.
  - Je n'en suis pas sûr du tout. L'industrie en France, c'est mort. Le nombre de mecs aussi qualifiés que moi et avec beaucoup plus d'expérience qui cherchent un boulot, t'en as des tonnes. Mais comme ça délocalise à tout va, y'a aucun poste. Moi j'avais un CDI et je ne suis pas prêt d'en retrouver un.
  - Putain d'Europe… soupira Alain. Tu sais, c'est cette foutu Europe qui a décidé de supprimer toutes les frontières. C'est pour ça que ça délocalise à tout va. Comme il n'y a plus aucune taxe sur les produits quand ils arrivent en France, y a plus aucun intérêt à produire ici. Tu vas en Asie, tu trouves des ouvriers pas chers, et ensuite tu fais revenir les produits en France pour les vendre. Tout ce que tu payes, c'est l'essence mais comparé au coût salarial, c'est rien du tout. C'est cette Europe ultra libérale qui te fait la peau mon pote. C'est elle qui te baise et profond, et là tu sens juste la douleur d'une sodomie à sec. Moi je te le dis, le jour où on aura tous mal au cul, on ira rendre la monnaie de leur pièce à tous ces connards de bureaucrates de Bruxelles !
  - T'exagères avec l'Europe, intervins-je. Le problème c'est pas l'Europe, c'est juste la politique de cette Europe-là. C'est parce qu'elle est dominée par la droite, mais si on élisait davantage de socialistes, alors on pourrait la changer.
  - Arrête un peu avec tes socialos. C'est sous Jospin qu'on a le plus privatisé en France. D'ailleurs, il ne faisait qu'appliquer des directives européennes. Mais t'as qu'à regarder les chiffres, au parlement de l'UE, la droite et la gauche votent ensemble, il n'y a aucune opposition. La droite et la gauche c'est pareil.
  - On dirait le FN qui parle ! rétorquai-je. Tu veux pas attaquer les juifs pour qu'on voie la ressemblance jusqu'au bout ?
  - J'ai jamais attaqué les juifs d'aucune façon. Ils ont assez souffert comme ça, j'aime pas quand on les attaque. C'est ça que je supporte pas avec le FN. Et d'ailleurs, mon grand père était juif, donc je suis un quart juif moi-même, alors pas de ça avec moi.
  - Je plaisante, t'inquiète pas, mais sérieusement, l'Europe c'est une belle idée, c'est juste leur politique économique qui est dégueulasse. Mais c'est quand même grâce à cette construction qu'on est en paix depuis soixante ans. C'est quand même une belle prouesse après tous les conflits qu'on a eu avec l'Allemagne. Sans parler du fait qu'on a sorti les pays de l'Est de la misère, et que l'UE donne beaucoup d'argent à nos régions pour se développer. Si on n'avait pas cet argent, nos régions crèveraient, tu sais. Et sur les votes droite-gauche au parlement, d'où tiens-tu tes chiffres ? Je suis sûr que tu n'as pas la moindre source à me fournir.

  Alain préféra abandonner devant mes arguments, même s'il ne semblait pas convaincu. C'est Frank qui mit un terme à notre débat, d'une phrase assassine et frappée au coin du bon sens :
  - Moi tout ce que je vois, c'est qu'avant on avait un caddie rempli pour 200 francs et que maintenant on a le même caddie pour 150 euros… alors que j'ai pas vu ma paye multipliée par six…
  - Ca c'est bien vrai, soupira Mohamed, les yeux toujours dans le vague.
  - Je connais un gars bien plus calé que moi sur le sujet de l'Union Européenne, conclut Alain. Faudra que je te le présente un jour, tu verras, t'en reviendras pas.

  Nous nous retournâmes vers notre ami maghrébin, essayant vainement de le rassurer, de lui dire qu'il n'y avait encore rien de sûr mais il était déjà résigné. Pour détendre l'atmosphère, la flicaille nous raconta quelques anecdotes dont il avait le secret.
  - C'était il y a quelques années, un ou deux ans après les révoltes de banlieue. Y'a quinze jeunes - ouais, on n'a pas le droit d'appeler ça des délinquants ou des merdes, faut appeler ça des jeunes – qui se baladaient dans la rue et tout d'un coup ils ont aperçu deux mecs qui marchaient. En bonnes petites racailles merdeuses, ils ont décidé de les attaquer, juste pour rigoler. Apparemment c'est comme ça qu'on s'amuse dans les cités.
  - T'as dit combien ? s'étonna Alain.
  - Oui oui t'as bien entendu, à quinze contre deux. Pas très chevaleresque mais bon, c'est trop occidental pour eux, la culture chevaleresque. Bref, on pouvait penser qu'ils avaient de bonnes chances de l'emporter. Mais tu vois, les deux gars, ils ont pas trouvé la plaisanterie suffisamment drôle pour se prêter au gag et, dit-il en se mettant à rire, ils leur ont littéralement défoncé la gueule aux quinze autres ! Faut dire que les deux mecs, c'étaient des légionnaires.
  - Oh putain ! s'exclama Mohamed en éclatant de rire. Ils sont mal tombés !
  - Et attends, tu sais le plus drôle ? Après s'être fait éclater la tronche, devine ce qu'ils ont fait ?
  - Dis-nous, relançai-je, impatient.
  - Ils sont venus au commissariat pour porter plainte.

  Les éclats de rire fusèrent, et nous étions aussi très heureux de voir que Mohamed avait retrouvé le sourire. Frank termina son anecdote en prenant une voix qui se voulait une imitation de l'accent racaille-rappeur
  - "Ouais vas-y M'sieur ! On se baladait tous les quinze dans la rue et on s'est fait agressé par des mecs. C'étaient trop des racistes ! En plus ils étaient deux !"
  - Enorme ! s'écria Alain en riant à gorge déployée. On se croirait dans Astérix ! Les quinze Romains qui débarquent "on s'est fait agressé par deux gaulois supérieurs en nombre. Y'avait un gros avec un chien".

  L'ambiance était enfin détendue et ça dura ainsi pendant plus d'une heure. Frank enchainait les anecdotes à un rythme effréné comme s'il nous faisait un spectacle comique qu'il aurait répété pendant des jours entiers. Il aurait pu monter sur scène sans difficultés. Après tout si Arthur et Gad Elmaleh pouvaient le faire, c'est qu'il ne devait pas y avoir beaucoup de concurrence. Cependant, il nous manquait quelqu'un, il nous manquait notre journaleux.
  - Dis, Antho, t'as des nouvelles d'Alex ? me demanda notre conspi.

  Effectivement, ça faisait déjà plusieurs jours qu'il ne nous avait plus rejoint au bistrot après le travail et sa présence nous manquait. En terme d'anecdotes, il était quasiment du niveau de Frank et ils se complétaient à merveille pour les raconter. Peut-être avait-il finalement décroché son emploi dans la rédaction régionale de France 3 en Île-de-France. Ça devait lui faire un sacré changement par rapport au journal de la ville où il avait eu un rythme assez tranquille pendant ces cinq dernières années. À la demande de Momo, je sortis mon portable pour tenter de le joindre mais sans succès. Le téléphone avait sonné jusqu'à obtenir son répondeur. À la deuxième tentative par contre, il n'y eut qu'une seule sonnerie avant que je tombe sur le répondeur. Une façon de me faire comprendre que je dérangeais et que s'il attendait peut-être certains coups de fil, ce n'était certainement pas les miens.
  - Visiblement il n'a pas envie de me répondre, informai-je les autres.
  - Bah si Monsieur Alex Bayart a été engagé à la télé, je suppose qu'on n'est plus assez bien pour lui ! plaisanta Frank. Et puis, il va pas traîner avec un maghréboïde comme Momo, ça fait mauvais genre question fréquentations.
  - Pff, tous des racistes dans la police de la Ripoublique ! ironisa notre futur licencié.
  - Non mais c'est dommage qu'il ne soit pas là, j'avais peut-être une histoire qui l'aurait intéressé. Vous vous souvenez l'affaire de meurtres dont je vous ai parlé ?
  - Celle où on avait retrouvé une paire de dés à côté de la victime ? demandai-je.
  - Exactement. Et bien on dirait que le mec a remis ça. On a trouvé un autre type tué d'un coup de revolver, et cette fois-ci avec des cartes à jouer à côté de lui.
  - Des cartes à jouer ? répétai-je, surpris.
  - Ouais… un dix de cœur et un neuf de trèfle pour être précis…
  - Non mais c'est quoi encore ces conneries ? m'énervai-je. Le mec il joue à des jeux de société avant de tuer des gens ? Il en avait marre de jouer aux petits chevaux alors il est passé au poker ? Et puis quoi ? Si l'autre type avait eu une paire de rois, il s'en serait sorti vivant ? Putain mais merde à la fin, c'est quoi ce monde pourri ?!

  Les autres me regardèrent un instant sans rien dire, très étonnés de ma réaction particulièrement forte, comme si je prenais toute cette histoire de façon personnelle. Mon visage s'était teinté de rouge sous l'effet de la colère, à tel point qu'Alain s'en inquiéta. Il me demanda si tout allait bien, ce qui me fit redescendre doucement. Je repris une gorgée de whisky en regrettant que l'on ne puisse plus fumer dans les cafés. Société aseptisée à un point tel qu'elle finissait par puer la mort. Une société à l'américaine où les gens auraient été capables d'appeler la police parce que j'osais leur faire inhaler une minuscule bouffée d'un délicieux tabac cubain. "Mais vous ne vous rendez pas compte, Monsieur ! Le tabagisme passif est responsable de milliers de morts chaque année !". J'aurais voulu leur rétorquer que s'ils figuraient parmi ce millier de mort, ça me donnait une raison de plus de leur fumer à la gueule.
  - Tu sais, reprit Frank, ce n'est pas la peine de chercher de grandes explications pour les dés ou les cartes. Je ne suis pas un spécialiste des tueurs en série, mais il parait qu'ils aiment bien signer leurs crimes, une façon de faire comprendre que c'est bien eux qui ont tué tous ces gens donc ils laissent un indice pour qu'on fasse le rapprochement.
  - Mais c'est idiot, s'étonna Mohamed. Si on fait le rapprochement, ils ont davantage de chances de se faire attraper, non ?
  - Oui bien sûr mais ça ne sert à rien de chercher un comportement rationnel là-dedans. S'ils étaient rationnels, ils ne tueraient pas. Les tueurs en série obéissent généralement à une logique qui est leur logique à eux mais qui n'a rien à voir avec celle de quelqu'un de normal ou d'un délinquant qui fait tout pour ne pas se faire pincer. Y'a toujours une sorte de jeu du chat et de la souris ou des histoires d'égos surdimensionnés. Enfin bon, tu sais, je ne suis pas vraiment calé sur le sujet, moi… Cela dit, je pense que ça aurait peut-être intéressé Alex de faire un papier là-dessus. C'est le genre d'histoires qui excite la presse.
  - Ouais, ça et la neige, rétorqua Alain d'un air dépité. Sérieusement, vous regardez le journal télévisé ces derniers temps ? Soit ça vous parle des morts, soit ça vous parle du temps. En hiver, on a droit tous les jours à de longs reportages pour nous expliquer qu'il fait froid, et qu'attention il faut mettre les chaînes sur les pneus pour éviter les accidents. Ou alors qu'on attend la neige dans telle station de ski. Pendant l'été c'est l'inverse : "oulala ! Cet été il fait chaud, attention à bien vous hydrater. Mais les stations balnéaires sont contentes parce qu'il y a beaucoup de touristes !". Bref, c'est ça les infos télévisés : il fait chaud en été et il fait froid en hiver. Et ils sont tout fiers de vous dire qu'ils sont l'honneur de la démocratie, le baromètre des libertés fondamentales. Quand la presse est muselée, c'est qu'on arrive à la dictature, disent-ils. Mais moi j'ai une question toute simple : quand la presse en est réduite à dire qu'il neige en hiver et qu'il fait chaud en été, est-ce que ça démontre vraiment qu'on est encore en démocratie ? Quand je vois toutes les infos qu'on trouve sur le net, je me demande si les journalistes français sont incompétents ou s'ils sont corrompus. Tiens l'autre jour par exemple, j'écoutais la radio et ils parlaient des famines en Afrique. Ils avaient invité un expert pour en parler, sans doute une merde de binoclard payé par je ne sais qui, qui disait que tout ça était causé par l'augmentation du prix des denrées alimentaires à cause des sécheresses un peu partout. Et la journaliste écoutait religieusement cet expert à la con qui vomissait ses conneries avec l'assurance du menteur habitué à arnaquer les gens. Mais moi vous voyez, je regarde ce qui se passe sur internet, et là on voit des articles de la presse étrangère. Et ben le son de cloche est tout à fait différent, et on se rend compte que depuis plusieurs mois, ce sont les grandes banques d'affaires de type J.P. Morgan qui ont décidé de spéculer sur les denrées alimentaires. Ces grosses banques sont devenues tellement riches et puissantes qu'elles ont désormais les moyens d'acheter toute la production de blé mondiale. Une fois qu'elles ont tout acheté, tu sais ce qu'elles font ? Absolument rien ! Elles gardent la production sous le coude pendant plusieurs mois. Du coup, tout ceux qui veulent acheter du blé ne le peuvent pas, puisqu'il n'y en a plus à vendre. La loi de l'offre et de la demande fait que les prix augmentent. Forcément : il y a plein d'acheteurs, mais pas de vendeurs. Et une fois que les prix ont bien augmenté, ces grandes banques finissent enfin par revendre leur stock mais les tarifs ont tellement augmenté que nous on voit les prix au supermarché s'envoler et que les populations en difficultés comme les Africains n'ont plus les moyens d'acheter. Voilà la réalité. C'est ça qui cause les famines ! Et ben moi je vous le dis, l'expert de la radio, son boulot c'est de s'assurer que la grande masse de la population n'y comprenne rien. Il est expert en mensonge, c'est ça qu'on ne nous dit pas. La sécheresse mon cul ! Et la journaliste, tu vas pas me dire qu'elle est pas foutue de lire la presse étrangère ou bien ce qu'on voit sur internet ? Donc soit elle est corrompue, soit elle est incompétente. Mais je vous jure, la façon dont elle écoutait religieusement cet "expert" parler, ça méritait des baffes.

  Nous écoutions tous notre conspi sans savoir vraiment s'il fallait y croire. Est-ce qu'Internet était vraiment plus fiable qu'une journaliste et un expert de la radio ? D'un autre côté, il disait que ces infos étaient reprises de la presse internationale, donc il ne s'agissait pas de sources aberrantes. Peut-être que le simple fait de me poser cette question, c'était ça l'arnaque. C'était sur ça qu'ils comptaient. Que la grande masse des gens se disent que si ça passe à la radio, ce doit être la vérité ou alors qu'ils renoncent en se disant que de toute façon, ils ne peuvent pas eux-mêmes savoir qui croire car ils manquent de compétence pour faire le tri. À nouveau, je regrettais l'absence d'Alex. Ça m'aurait plu d'entendre sa réaction à ce sujet. En guise de conclusion, je descendis mon troisième verre de whisky d'une traite.






CHAPITRE VI



  J'ai été inspecté aujourd'hui. Sans doute un petit cadeau de mon bien aimé principal qui avait alerté l'inspection d'académie sur le "problème Anthony Lassalle". On est toujours prévenu quelques jours avant dans ces cas-là, afin de pouvoir préparer un cours "normal". C'est vrai qu'être inspecté le jour d'une interro aurait peu d'intérêt pour démontrer ses qualités d'enseignant…
  Pour me faciliter un peu cette épreuve, j'avais demandé à une jeune surveillante de garder en étude l'élève le plus pénible de ma classe. Je savais qu'il n'aurait pas su se tenir et je n'avais pas envie de le gérer ce jour là. J'avais prévenu le reste de l'effectif qu'une inspectrice serait présente pour voir si je faisais bien mon travail et je leur avais demandé de faire un gros effort car c'était un moment important pour moi. On dit que le jour de l'inspection, notamment avec une classe difficile, est l'occasion de vérifier les sentiments des élèves vis-à-vis de leur professeur. S'ils détestent le prof ou ne le respectent pas, ils sont toujours beaucoup plus pénibles le jour J, afin de contribuer à donner la plus mauvaise image possible de leur enseignant à la hiérarchie. Si au contraire ils l'apprécient, alors ils font un gros effort pour participer, ne pas bavarder, et donner une bonne image générale de leur enseignant.
  Ce fut donc officiel, malgré mes sentiments souvent désagréables à leur égard, mes élèves me respectaient et m'appréciaient. Tous avaient tenté de me mettre en valeur, de lever le doigt aussi souvent que possible et avaient même parfois glissé un mot à l'inspectrice à la fin du cours pour leur dire tout le bien qu'ils pensaient de moi et de mes qualités. J'avoue que ça m'avait fait chaud au cœur.
  À la fin de la séance, il y eut une heure d'entretien avec l'inspectrice pour faire le bilan de ce qu'elle venait de voir, et elle sembla à peu près satisfaite. Pas totalement cependant car oui, j'avais commis une faute grave, que dis-je, une immondice ! En prenant le cahier d'un élève elle s'était rendu compte que j'avais osé donner régulièrement des fiches de vocabulaire à apprendre par cœur. Faute impardonnable ! "Monsieur Lassalle, le vocabulaire doit être vu en contexte avant que les élèves ne sachent ce qu'il signifie. Ils doivent d'abord croiser les mots nouveaux sans les connaître, dans un dialogue anglais de la cassette. Il faut qu'ils s'interrogent sur la signification de ces mots et qu'ils en déduisent le sens en fonction du reste du dialogue. C'est seulement quand ils ont trouvé le sens par eux-mêmes qu'on peut, à la toute fin de la séquence, donc après trois ou quatre séances, écrire les mots nouveaux et leur traduction". Et oui j'avais fait une faute, j'avais cherché à enrichir le vocabulaire de mes élèves en leur faisant découvrir des mots nouveaux comme ça, en les apprenant par cœur. Qui étais-je pour oser aller à l'encontre des recommandations des pédagogues ?
  Il faut dire que les pédagogues en question ne bénéficiaient pas vraiment de mon respect le plus absolu. La première fois que j'avais entendu parler d'eux, c'était pour apprendre qu'il ne fallait surtout pas parler "d'élèves" mais "d'apprenants". Et que je ne voulais pas devenir professeur mais "facilitateur d'apprentissage". Et effectivement, pendant deux années à l'IUFM, j'eus l'interdiction totale de parler des "élèves". La théorie des pédagogues, que je devrais plutôt appeler des pédagogistes, tant leur pseudoscience suinte l'idéologie, c'était que le terme "élève" supposait un rapport hiérarchique qui va du haut vers le bas. L'élève est par définition soumis à un maître. Or la théorie de l'éducation de ces intellectuels prônait un savoir émanent directement de l'apprenant qui avait tout en lui dès le départ, et dont nous devions juste faciliter l'acquisition, d'où le terme de facilitateur d'apprentissage plutôt que de professeur ou, comble de l'ignominie, de maître. Cette simple dictature sur les termes m'avait fait comprendre que tout cela s'apparentait à de la merde.
  Cependant, ça allait au-delà. Je me rendis vite compte que ces pédagogistes élaboraient leurs théories sans jamais tenter de les appliquer eux-mêmes devant les élèves. Car oui, ces gens-là étaient parfois, et parfois seulement, d'anciens professeurs, mais cela faisait bien longtemps qu'ils ne s'étaient pas retrouvés en face d'une classe, surtout quand on voyait les "apprenants" d'aujourd'hui. Du coup, je m'aperçus très vite que leurs méthodes d'enseignement présupposaient toujours une classe parfaite avec des "apprenants" motivés, curieux, désireux d'apprendre et intelligents. Dans une telle configuration, on pouvait comprendre cette interdiction de faire des listes de vocabulaire. Il suffirait de passer un dialogue sur cassette et chaque "apprenant" relèverait de lui-même les mots nouveaux, serait suffisamment motivé pour chercher à comprendre l'ensemble du contexte et désireux d'inférer le sens de ces mots. Quand on ne voit jamais d'élèves, on doit sans doute pouvoir croire à ces conneries.
  Seulement voilà, la réalité est tout autre. La majorité des élèves est juste là à attendre que le cours se passe. Quand ils entendent un nouveau texte, la majorité n'en a strictement rien à foutre d'essayer de comprendre ce qui est dit, et encore moins d'essayer de comprendre ce que peuvent bien vouloir dire les mots nouveaux. Ils disent juste "on comprend rien". Et même si c'est devenu politiquement incorrect de le dire, tous les élèves ne sont pas intelligents. Certains n'ont aucune capacité ou sont à moitié cons. D'autres sont intelligents mais ne sont pas doués pour les langues. Quant aux plus doués ou ceux qui aiment la matière, en général ils apprennent eux-mêmes du vocabulaire de leur côté si on ne leur donne pas. Voilà la réalité. Et l'autre réalité, c'est que lorsqu'on leur donne du vocabulaire, on voit les élèves les moins doués sourire et nous remercier de comprendre enfin quelque chose. Certains reviennent même en nous expliquant que grâce aux mots qu'on leur a donnés, ils ont réussi à baragouiner une phrase avec leurs parents et qu'ils en étaient tout fiers.
  Les pédagogistes refusent de comprendre que leur élitisme génère des angoisses chez les élèves. Avoir un maître reconnu comme détenteur d'un savoir qu'il va vous transmettre pour vous faire progresser, voilà qui est rassurant. D'ailleurs on nous explique qu'on ne doit pas donner de règles de grammaire anglaise à nos chères têtes blondes, c'est à eux de rencontrer la structure et d'en déduire eux-mêmes la règle. Et, voilà le plus beau, on préfère une règle fausse mais qui a été déduite par l'élève plutôt qu'une règle exacte qui a été donnée par le prof. L'inversion de toutes les valeurs…

  Evidemment, dans mon cours, c'est moi qui donne les règles de grammaire, ce que l'inspectrice ne se priva pas de me reprocher : "j'ai vu dans les cahiers qu'ils avaient tous la même définition du présent Be+Ing. Ca veut dire que c'est vous qui avez donné la règle, M.Lassalle. Mais comment voulez-vous qu'ils intègrent cette règle si elle ne vient pas d'eux ?"
  J'aurais bien aimé lui répondre mais la meilleure stratégie était de baisser la tête et d'aller dans son sens. On le faisait tous. J'aurais aimé lui dire qu'elle non plus n'avait pas eu d'élèves depuis longtemps et que ça se voyait, mais je préférais éviter. J'avais eu l'anecdote d'une collègue dont l'inspection s'était mal passée. Tellement mal d'ailleurs que pour une fois, l'inspectrice était intervenue pour lui montrer comment il fallait faire un cours. Et évidemment, ça s'était passé encore plus mal. Mais au lieu de reconnaître que c'était une classe particulièrement difficile et que sa méthode ne marchait pas mieux que celle de la prof, elle en avait au contraire tiré un argument de plus pour enfoncer la collègue : "c'est parce que vous les avez mal entraînés".
  Au final, l'entretien se passa tout de même correctement mais elle se refusa à me mettre la note maximale à cause de ces fautes impardonnables. Vers la fin de l'heure, le principal entra tout sourire pour voir comment ça se passait. Visiblement, il espérait que ça se passait mal car son visage se referma dès le premier compliment. Sourcils froncés et souffle lourd, il préféra se retirer, se rendant compte qu'il ne pourrait pas se délecter de ma chute. En refermant la porte, il laissa échapper un "c'est étonnant" qui m'énerva au plus haut point. L'inspectrice me confia que c'était bien le principal qui lui avait demandé de venir mais que l'attitude des élèves montrait qu'il n'y avait pas de problème majeur en dehors de mes absences régulières. Voyant que je me refusais à entrer dans le détail sur le motif de ces absences, elle n'insista pas et préféra se retirer.

  En ressortant du collège, plusieurs de mes élèves de 6e vinrent me voir pour me demander comment l'entretien s'était passé et se vanter d'avoir été sages. Je leur consentis des félicitations bien méritées avant de rentrer chez moi m'allumer un cigare, en rêvant que je l'écrasais sur le visage de l'autre con.






CHAPITRE VII



  - Bah alors ! Ça fait des semaines qu'on n'a plus de tes nouvelles ! On se demandait s'ils t'avaient tué au journal.

  C'était Alex. Il avait enfin pris le temps de décrocher son téléphone mais il était visiblement à bout de souffle. Sa voix un peu haletante, comme s'il n'avait même pas le temps de reprendre son souffle, suggérait un état de fatigue avancé, la fatigue d'un homme exténué mais qui a encore des heures de travail devant lui.
  - Oui je sais, je n'ai vraiment pas eu une minute à moi. Là je fume une cigarette à l'extérieur alors j'en profite pour te passer un coup de fil.
  - Comment ça se fait que tu bosses autant ? demandai-je en devinant la réponse.
  - Et bien ça y est, j'ai été pris à France 3. Je te jure, j'ai jamais autant bossé de ma vie. Ils me font faire un peu tout et n'importe quoi pour voir si j'arrive à m'adapter. Ils m'ont pris en CDD pour un an mais j'espère faire mes preuves alors je bosse comme un âne.
  - Et tu fais quoi exactement ?
  - Bah je te dis, un peu tout et n'importe quoi. La plupart du temps, je suis chargé de lire la presse locale pour dénicher des infos pour les brèves, et je surveille aussi ce qui passe sur internet. Je fais aussi du classement.
  - Du classement ? m'étonnai-je. C'est pas un boulot de secrétaire ?
  - Oui… non… pas vraiment… disons que je suis une sorte de stagiaire donc quand y'a du boulot en trop, c'est pour ma pomme. Mais je ne me plains pas. Même s'ils en profitent clairement, vu que les heures sup' ne sont pas payées eu égard à mon statut de nouvel arrivant. Je pense que je pourrais réclamer mais si je veux qu'ils me gardent à la fin de l'année, vaut mieux pas trop la ramener.
  - Tu fais des trucs intéressants au moins ?
  - Oui justement, c'est aussi en partie pour ça que je t'appelle. On m'a filé un petit reportage de fin de journal à faire, donc je vais passer pour la première fois derrière le petit écran. Je voulais que tu voies ça. Il est quelle heure là ?
  - 18h45, répondis-je un peu anxieux, comme s'il m'avait communiqué son stress.
  - Ah ? Et bien voilà alors, dans une heure tu me verras. Oh rien de bien folichon, un petit sujet sur le retour des régimes à trois mois du début de l'été. Trois fois rien mais il faut commencer petit, hein ?
  - Bien sûr et c'est quand même du temps d'antenne, c'est bien pour toi !
  - Oui bon c'est pas vraiment la carrière de grand reporter que je voulais mais c'est déjà ça, hein ? Bon allez, je dois te laisser, ils vont se demander où je suis passé. Préviens les autres d'accord ?

  Je raccrochai le téléphone, exténué. Il avait eu l'air tellement stressé que c'en avait été fatigant pour moi, d'autant que mes douleurs aux jambes avaient repris depuis le réveil. Je ne pus m'empêcher de m'inquiéter, à ce rythme là il ne tiendrait jamais le coup. Je l'imaginais tout tremblant, rongeant ses ongles à s'en faire saigner les mains, terrorisé à l'idée de mal faire son travail et de dégager avant même la fin du prochain journal.
  J'allumai la télé pour découvrir les titres. Ce soir, nous avions droit à une variante de ce qu'avait dit Alain. Ce n'était pas "l'été il fait chaud" ou "l'hiver il fait froid" mais "le printemps revient et les beaux jours avec". Sincèrement, c'était pathétique. La présentatrice était évidemment une belle cruche n'ayant pas encore dépassé la trentaine. Une jolie blonde au sourire tendre et enjôleur, faisant bouger ses mains avec grâce devant la caméra et lisant son prompteur avec une voix suave, douce mais pleine d'assurance néanmoins. Le genre de fille qui t'annonce que tu as un cancer et à qui tu réponds : "ah oui ? C'est intéressant ça ! Continue de parler ma belle, je bois tes paroles". Ça ne m'étonnait pas qu'Alex soit surchargé de travail avec une tête d'affiche pareille, dont le QI ne permettait sans doute même pas de comprendre comment fonctionnait la machine à café.
  C'était amusant mais assez triste à observer. Ces nouvelles présentatrices dont la beauté n'avait d'égale que l'incroyable vide de leur cerveau. Mais pour mentir aux gens, une belle poupée, ça passe quand même mieux. Il faut reconnaître qu'on ne se concentre pas vraiment sur l'information elle-même. Certains ne s'en rendaient pas compte, et d'autres pensaient que ces jeunes femmes permettaient de mieux faire passer les mauvaises nouvelles. Mais d'après moi, c'était une erreur dans les deux cas. Le but n'était pas d'adoucir les nouvelles, c'était de cacher le fait qu'il n'y avait absolument aucune information dans les journaux télévisés. Sans doute Alain avait-il déteint sur moi. Il faut dire que mon sentiment permanent que quelque chose n'allait pas dans ce pays avait laissé un terrain propice aux théories de notre conspi. Mais si je faisais abstraction de la cruche aux cheveux blonds, il était clair que le journal était aussi creux que la tête de la cruche en question. Après un sujet sur le retour du printemps, on avait eu droit à l'augmentation du nombre de gens circulant sans permis. Sujet intéressant s'il avait donné lieu à une analyse de fond et surtout si quelqu'un en avait tiré les conséquences. Mais là rien, le vide. Quelques images de tableaux de bord indiquant une vitesse excessive, puis un contre-champ sur un radar fixe. Et enfin retour à la cruche qui parle. Finalement, cette jolie blonde à la bouche pulpeuse était bel et bien le seul intérêt de ce journal. C'était cruel de la part d'Alex de m'infliger ça.
  Après quelques autres sujets bateau, ce fut enfin le tour de mon ami. "Et maintenant, à quelques mois de l'été, un sujet pour vous mesdames. Hi hi ! Vous êtes nombreuses à vouloir perdre ces quelques kilos pour rentrer dans vos maillots et montrer à tous votre silhouette de rêve. Hi hi hi !". Et cetera, et cetera… et oui, car il ne suffisait pas qu'elle soit conne, il fallait bien qu'elle le montre aussi de temps en temps, je suis sûr que ça faisait partie du contrat qu'elle avait signé en se redressant de sous le bureau du patron.
  Très vite je reconnus la voix-off. C'était bien Alex. Son ton était parfait, sûr de lui, posé, il rendait même crédible un sujet complètement dérisoire. Son rythme régulier m'entrainait avec lui dans le reportage, il me donnait presque envie d'aller m'inscrire au club de gym, ce qui ne m'aurait pas fait de mal. Après une minute, le visage de mon ami journaleux apparut à l'écran. Il semblait plus grand qu'à l'accoutumée, la mine épanouie, le teint splendide. Sa chemise blanche sans le moindre pli et ses cheveux gominés, à mille lieues de son ébouriffement habituel, lui donnaient une belle prestance. Pas de doute, il avait du charisme et un don naturel pour parler face caméra.
  Malgré l'insipidité du sujet, qui avait dû intéresser la blondasse et toutes les connasses de moins de cinquante balais, il avait réussi à m'avoir. J'étais rentré dedans et j'en étais le premier surpris. C'était sûr, il avait de l'avenir dans ce métier. Je me saisis immédiatement de mon téléphone pour lui faire part de mes impressions par texto. Il me répondit au bout de quelques minutes que c'était gentil mais que malheureusement, toutes les places étaient prises pour l'instant, qu'il n'avait dû ce petit reportage qu'à l'absence d'un de ses collègues et qu'à son retour, il ne risquait pas de repasser devant la caméra.

  Je composai alors le numéro d'Alain pour recueillir ses impressions. Mais ses premiers mots furent complètement hors sujet :
  - Tu sais que je regarde jamais les infos, c'est tous des menteurs de toutes façons, ils cherchent juste à faire de la place dans ton cerveau pour te vendre du coca. Mais sérieux mon pote, la présentatrice, ils peuvent lui en vendre un camion entier de coca, il restera de la place pour installer un distributeur. Par contre, la prochaine fois que je me fais un plaisir solitaire, tu peux être sûr que je vais penser au journal télévisé.
  - Effectivement,  je ne pense pas qu'ils l'aient prise pour ses notions de mécanique quantique, mais sinon, t'en as pensé quoi de la performance d'Alex ? demandai-je pour éviter d'entrer plus en profondeur dans les rapports entre Alain et sa main droite.
  - Ouais ça va il avait l'air bien. Mais sérieux t'as vu ses nibards à la blonde ?

  Comprenant qu'il n'y avait pas grand-chose à tirer de mon conspi, je raccrochai rapidement pour appeler Mohamed et Frank. Mais aucun des deux ne décrocha.